En septembre 2012, le SYNAVI a signé une tribune dans le magazine La Scène pour engager tous les acteurs à engager une réflexion sur la question de l’artiste intervenant.
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C’est comme un chantier. Mais un chantier dans lequel les différents corps de métiers ne se seraient pas du tout concertés. Avec un état d’avancement des travaux totalement anarchique où les peintres seraient déjà dans les étages quand les fondations ne seraient pas encore terminées.
1 ETAT DES LIEUX
• Le métier a changé
Le métier de l’artiste ne cesse d’évoluer, de changer, et ce, depuis toujours. Ces dernières années, dans le domaine du spectacle vivant, de nouvelles manières de faire se sont inventées ou généralisées. Le territoire dévolu aux arts de la scène s’est considérablement ouvert, le spectacle est sorti des théâtres, il peut être aujourd’hui dans des lieux qui vont de l’hôpital à la prison en passant par les quartiers, les appartements, les salles de classe, les entreprises…
Le rapport au public évolue lui aussi, de nouveaux liens se créent entre les publics et les porteurs de projets artistiques, pouvant aller de l’écriture théâtrale à partir de paroles recueillies, à une participation directe du public au processus de création d’un spectacle. Il faut redire ici l’importance pour beaucoup d’artistes de ces nouvelles pratiques qui nourrissent leur geste artistique. Partager la recherche artistique avec d’autres cultures, d’autres générations, d’autres milieux, inscrire encore et toujours la création dans la cité, pouvoir en partager le processus comme l’utopie d’un moment où l’on est au monde, ouvert à l’autre…
• Une nouvelle politique culturelle
Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics (État et collectivités territoriales) reconnaissent et même encouragent les initiatives des compagnies artistiques et des structures culturelles visant à favoriser l’accès le plus large aux œuvres artistiques et aux pratiques de création. Culture pour tous, publics empêchés, démocratisation, sont des termes récurrents dans les programmes, réunions d’information et de réflexion, débats et projets de politiques, locales comme nationales.
• Du décalage entre le terrain et la définition sociale
Toutes les interventions des artistes du spectacle vivant ne sont pas définies ou explicitement prévues par la loi. Les professionnels du spectacle, l’État, les partenaires publics, les caisses sociales – Urssaf, Pôle Emploi – interprètent chacun selon son point de vue et ses intérêts, ce que recouvre le métier d’artiste interprète et les droits et obligations qui en découlent.
Lors de l’actualisation de la convention collective du secteur public du spectacle engagée à la suite de la crise de l’intermittence en 2003, les partenaires sociaux ont défini et encadré les activités dites « connexes » pour les artistes dramatiques et pour les artistes chorégraphiques. Il s’agit des « activités de sensibilisation, d’accompagnement des amateurs, d’animation d’ateliers, d’interventions en milieu scolaire ». Le texte — étendu, il s’impose à toute structure du secteur subventionné — prévoit que ces activités ne peuvent être exercées par un artiste interprète qu’à la condition qu’elles ne soient pas prépondérantes dans son contrat de travail : ainsi, les activités connexes du comédien ne doivent pas dépasser 1/10ème ou 1/5ème de son temps de travail, sur l’ensemble de son engagement. De son côté, le Pôle Emploi Services, sans définir expressément ce que recouvre l’exercice du métier de l’artiste, reconnaît, pour ouvrir les droits à l’indemnisation chômage des artistes intermittents du spectacle, un quota d’heures de travail consacrées à l’enseignement de leur art dans certains établissements de formation (quota de 55 à 90 heures maximum, selon l’âge du salarié). Mais les salaires perçus à ce titre n’entrent pas en ligne de compte pour le calcul de l’indemnisation chômage.
• Un constat
On voit bien, à partir de ce constat, le flou qui découle de ce grand décalage entre les activités connexes et la manière dont les différents organismes sociaux intègrent – ou non – ce travail dans la définition du métier d’artiste. D’où suspicions de fraude, litiges concernant salariés ou entreprises, mais surtout incompréhensions et désaccords profonds entre les différentes organisations professionnelles sur la question de ce qu’on appellera, pour simplifier, l’artiste intervenant.
2 DES QUESTIONS
Une fois ce constat établi, nous voulons ici poser un certain nombre de questions, comme une manière possible d’aborder cette problématique dans un esprit d’interrogation, de recherche, de construction. Des réponses partielles ont pu être avancées mais le problème n’est jamais abordé dans son ensemble.
D’où l’importance de traiter la question de l’artiste intervenant de façon globale, pour pouvoir parler ensemble de notre métier, voir comment il évolue, en parler entre nous qui le pratiquons, mais aussi avec nos interlocuteurs et partenaires, commanditaires, tutelles, financeurs. Pouvoir en parler autrement que dans la pression et l’urgence de négociations. Et pouvoir le faire sans peur, sans oukases ni anathèmes, sans braquage idéologique et sans stratégies d’évitement.
- Le développement de l’action culturelle est-il une menace pour les artistes interprètes professionnels ?
- L’action culturelle peut-elle faire partie intégrante du métier d’artiste interprète, ou faut-il séparer les deux activités ?
- Y a-t-il risque réel d’avoir des artistes intervenants débranchés des métiers du plateau ?
- Quelle est la part de nécessité économique dans le choix de faire (ou non) de l’action culturelle ?
- Y a-t-il des abus en la matière ?
- Qu’en est-il du financement de l’action culturelle ?
- Où s’arrête le geste artistique, de création, et où commence le geste pédagogique, de transmission ? Faut-il et comment apprécier si une intervention est essentiellement de nature artistique, un acte de transmission, ou une initiation à une discipline artistique, voire un enseignement ?
- Faut-il créer un diplôme d’artiste intervenant comme cela existe en musique?
- Quelle est la marge entre l’artistique et l’animation ?
- Les actions culturelles peuvent-elles donner lieu à des embauches d’artistes par intermittence ? Si un artiste intervenant ne peut pas être embauché sous un contrat à durée déterminée d’usage, sous quel type de contrat de travail va-t-il pouvoir être légalement employé ?
3 POUR ALLER PLUS LOIN
Comment définir l’art ? Autant de définitions que d’artistes ? Quand et comment l’action culturelle s’inscrit-elle dans le paysage artistique ?
A se demander ce qu’est un artiste aujourd’hui, et comment définir l’exercice de son métier et le périmètre dans lequel il est reconnu comme tel, on court le risque de heurter, choquer, déboussoler. Au moins, on fera réagir.
C’est l’expérience de la scène, le travail du plateau, qui doivent fonder le travail d’action culturelle.
Comment évaluer cette part de l’activité de l’artiste dans son parcours professionnel ?
Doit-on envisager des quotas, pourcentages, et sur quelles bases ?
Une chose doit être claire : personne ne doit imposer aux artistes d’intervenir dans le cadre de l’action culturelle. Les équipes artistiques qui choisissent de travailler aussi hors plateau ont des besoins et des pratiques qu’il faut trouver le moyen de reconnaître comme des usages professionnels et des pratiques légales, en accord avec les instances et les partenaires sociaux concernés.
Les entreprises de création et les artistes ne doivent pas supporter seuls les risques liés aux imprécisions de la réglementation qui s’impose aux employeurs et aux artistes intermittents, et souhaitent participer, à partir de leur expérience, aux clarifications indispensables.
Les équipes indépendantes de création souhaitent revoir, avec leurs partenaires et financeurs, les conditions de financement des activités dites « hors plateau » et leur évaluation, comme part de leur travail artistique.
4 ALORS ON FAIT COMMENT ?
Le combat pour donner sa vraie consistance à l’artiste intervenant devient de toute première nécessité.
Mais il faut qu’on se donne la peine de le penser. De l’inscrire dans notre ligne d’horizon, autrement que comme dérivatif ou activité connexe.
Un immense chantier nous attend, qui peut aussi relancer la notion d’emploi permanent pour l’artiste : un heureux équilibre de création et d’action culturelle le permet. Les notions de permanence et de durée y trouveront leur compte, pour mettre à mal la précarité trop généralisée du secteur. L’enjeu est de taille : Instruisons-nous d’une réflexion à sa mesure !
C’est comme un chantier… Et il y a urgence à réunir tous les corps de métiers pour construire ensemble.
Pour le SYNAVI : Jeff Benignus, Pierre Roba, Fabrice Bernard, Jean-Pierre Dupuy et Muriel Guyon.