Mot du mois : Projet

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Le mot projet provient du mot latin projectus, « jeter quelque chose vers l’avant » dont le préfixe pro- signifie « qui précède dans le temps » et le radical jicere signifie « jeter ». Au XV°, apparait « projeter » dont l’usage s’étend avec le retour du préfixe « pro » Initialement le projet désigne davantage la volonté d’obtenir un résultat plutôt que l’action d’exécution proprement dite. Le résultat visé étant qualifié d’« objet ». Courant XX°, le mot « projet » évolue , surtout à partir des années 1950, quand plusieurs techniques de gestion de projet sont élaborées : le mot  » Projet  » dans son acception actuelle couvre à la fois l’intention visée et le dispositif prévu pour la réaliser .

Projet : le mot magique, autant une mode qu’un mode de fonctionnement.

Nos sociétés modernes sont devenues des « sociétés à projets ». Les projets concernent autant les institutions (projet scolaire, projet d’établissement hospitalier, projet de loi, projet politique, projet de société…) que les individus, à tous les stades de la vie (du projet éducatif au projet de retraite, en passant par les projets professionnels, familiaux, de naissance et existentiels…). Cette omniprésence du mode projet dans tous les aspects de l’activité humaine renvoie à une vision idéalisée de ce mode d’action. Le projet semble devenu un instrument qui donne l’espoir à l’homme de ne plus seulement subir les événements, mais de pouvoir maîtriser le cours de l’histoire et forger le futur à sa façon. De quoi parle-t-on exactement ? Que se cache-t-il derrière ce mot magique, supposé constituer un remède miracle pour les hommes et les organisations de ce début de siècle ?
Le « projet » apprend à travailler seul, à viser une production, c’est à dire à réaliser un produit. Le projet détruit le temps et le long terme. Il a un début et surtout une fin. Il est remplaçable par un autre. Pour le pouvoir (très friand des projets), il transforme des relations politiques en relations marchandes car il permet d’acheter des prestations-produits en les déguisant en démarches.
Avec l’envahissement de la culture du « projet » depuis une vingtaine d’années le capitalisme révèle le cœur de son idéologie : une société qui n’a plus de projet (de transformation sociale vers plus toujours plus d’égalité) et dont la volonté politique semble se résigner au règne de la marchandise pour cause de concurrence, de mondialisation, et d’écroulement des socialismes « réels », ne cesse de demander à ses citoyens (et surtout aux plus pauvres privés d’avenir) de se projeter, de faire des projets, (des micro-projets d’adaptation). Une société qui ne se projette plus dans l’avenir mais aménage à l’infini le présent de la marchandise dans un capitalisme pour seul horizon dispense des miettes de futur sous forme de micro-projets où chacun devient petit capitaliste de sa vie. S’engager dans un « projet » c’est manifester son dynamisme, son esprit d’initiative, son adhésion à ce système compétitif et parcellisé ; ce n’est pas critiquer, ni militer, ni douter. Le « projet humanitaire » remplace le combat politique. Il annule le long terme et la nécessité de s’intégrer durablement à un collectif. Dans leur étude sur le « nouvel esprit du capitalisme », Eve Chiapello et Gérard Boltanski montrent que si le mot « hiérarchie », qui venait en tête des mots employés dans des ouvrages de management dans les années soixante, a complètement disparu des années quatre-vingt dix, en revanche, le hit-parade contemporain du management de l’entreprise capitaliste (nombre de fois cité dans le même ouvrage) revient sans conteste à « PROJET ».

En engageant les jeunes dans des dynamiques multiples de projets, les travailleurs sociaux leur apprennent à morceler leurs désirs, leurs vies, leurs idéaux. On leur interdit de n’avoir qu’un projet qui durerait toute une vie : vocation, métier, mariage… et on les dresse à l’éphémère, à la mobilité, à l’employabilité d’eux-mêmes dans un monde présenté comme instable et qui n’a jamais été aussi stable : de la stabilité de la marchandise capitaliste pour toujours, pour tous et en tous lieux.

Pratiquer une « pédagogie par projets » c’est enseigner l’adaptation au court terme, et la renonciation aux idéaux qui structurent une vie, une personne, un groupe social. Dans cette nouvelle exigence/oppression/aliénation, le perdant, l’exclu est celui qui n’est pas engageable dans un projet ou qui se montre incapable de changer de projet (celui qui se cramponne à un idéal). L’intérêt du projet est d’avoir un début et une fin (surtout une fin). Une fois celle-ci atteinte, on dissout l’équipe, sa subvention, la dynamique et on est prêt pour un tout autre nouveau projet, avec de nouvelles têtes et de nouveaux financements. On vous a déjà vu l’année dernière, vous n’allez pas vous abonner, laissez la place à d’autres et tentez votre chance ailleurs !

Sous l’intitulé de « projet », le pouvoir achète en réalité des « produits » et prépare le futur travailleur aux nouvelles règles du management libéral, de la marchandise, de la rotation des tâches et de sa propre employabilité. La pédagogie par projet, la subvention au projet, est l’apprentissage du nouveau management, de la rotation accélérée des produits et des marchandises sociales, de la précarité et de l’incertitude acceptées par avance : soyons aventureux dans un monde instable que diable, et que les faibles perdent ! Il n’y a pourtant qu’un seul « projet » qui vaille (quel autre ?) : la Révolution.

Exercice de traduction :

Dans les zones à redynamiser, les chefs de projets financent des projets d’habitants dans le cadre de contrats d’objectifs.

Devient :

Dans les groupes sociaux à réduire au silence politique, les chefs de produits du nouveau marketing public achètent la paix sociale des habitants en renouvelant au coup par coup leur dépendance financière au pouvoir.

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