La crise liée à la pandémie de COVID-19 a touché de plein fouet le secteur culturel indépendant, stoppant net les activités de l’ensemble de ses acteurs. Elle a mis en lumière les limites du système : course aux créations trop peu diffusées, spectacles non aboutis par manque de temps et de moyens, multiplicité des appels d’offres, des appels à projet, inégalités territoriales pour les acteurs comme pour les habitants, paupérisation des artistes…
Parce que nous sommes persuadés que l’art et la culture sont au cœur d’un développement durable de toute société humaine, que la création artistique est un engagement particulier, individuel ou collectif, d’intérêt général, que les structures indépendantes sont à l’initiative de l’innovation et du lien permanent entre art et société, le SYNAVI milite pour un changement de paradigme en matière de politiques culturelles.
Les compagnies et lieux indépendants que nous représentons sont les principaux producteurs de spectacles, les artisans de l’action artistique, et de ce fait sont, dans leur ensemble, les principaux employeurs du secteur du spectacle vivant.
Dans les quartiers populaires de nos villes comme en milieu rural, dans une relation étroite et sans cesse renouvelée à leurs habitants, nous créons, innovons, infusons, irriguons, promouvons les droits culturels. Nous pouvons l’affirmer : c’est tout au long de l’année que nous œuvrons à un « été culturel » sans fin. Les compagnies sont à l’origine de la chaine entre artistes et public, au centre d’un écosystème fragile et complexe.
Relevant d’un tiers secteur culturel, nos structures ne répondent pas à un modèle économique unique. Composite de subventions, de recettes de coproductions, cessions, billetteries, de financements privés et d’autoproduction, nos structures – de tailles variables – ont toutes en commun une économie appuyée sur une activité variable, au fonctionnement difficile à stabiliser, à l’opposé du modèle dominant de l’entreprise installée dans la continuité et la permanence.
Les dispositifs de droit commun ou sectoriels mis en œuvre au fil des semaines en réponse à la crise ont, d’évidence, été pensés en soutien aux institutions d’une part, au théâtre privé d’autre part. Des dispositifs annoncés comme ouverts à tous, dans lesquels les structures de création indépendantes ne trouvent en réalité leur place qu’au prix de contorsions à la limite du soutenable. L’appel à la solidarité du secteur, s’il a été entendu par tous, n’a cependant pas été suivi des mêmes effets selon les territoires et les relations entre compagnies et diffuseurs, qu’il s’agisse de lieux subventionnés ou de collectivités. De même, les préconisations sur la levée de la clause de « service fait » sont restées trop souvent vœux pieux.
La saison 2020/2021, si elle ne se réinvente pas, sera lourdement impactée par les nécessaires protocoles sanitaires, le jeu des reports de résidences de créations, des représentations, des ateliers et des actions artistiques. Et ce sera encore le cas la saison suivante. Une part non négligeable de compagnies et lieux indépendants seront les premières victimes de cet effet domino et disparaitront, entraînant la perte de milliers d’emplois intermittents et permanents et un appauvrissement du paysage culturel et artistique inédit. Seule une refonte profonde des politiques publiques de la culture, une réflexion sur l’écosystème de notre secteur, par et avec l’ensemble de ses acteurs, permettra de passer le cap.
Repartir du geste artistique pour repenser la relation artiste-population-territoire
Par l’infusion artistique sur un territoire, la création et l’action culturelle ne sont qu’un. Les artistes assument un rôle de créateur, de passeur et de médiateur ; ils assurent le renouvellement et la diversité des formes artistiques. De même, les Lieux intermédiaires et indépendants, souvent à l’initiative de collectifs ou de compagnies, sont à la fois les premiers contacts des habitants avec l’art et le spectacle vivant, un lien quotidien dans un quartier, des laboratoires des formes les plus innovantes et des plus belles utopies. Figures emblématiques d’un tiers secteur culturel au cœur d’une mission d’intérêt général, souvent installés dans des zones délaissées des institutions, ils sont un outil pour la mise en œuvre des Droits Culturels.
La revalorisation de ces gestes artistiques et ces relations réinventées aux territoires et à leurs habitants nécessite des soutiens pérennes aux compagnies et lieux, en partenariats croisés entre l’État et les Collectivités. Elle implique un rééquilibrage de moyens entre nos projets et les structures labellisées, indexé sur les coûts de travail et de fonctionnement non minimisés.
Une politique durable pour l’emploi pérenne
Le spectacle vivant exige des emplois qualifiés dans une forte diversité de métiers. L’infusion artistique, comme la création, repose sur du temps long, des moyens humains renforcés et pérennes.
Si les emplois intermittents ne doivent pas être un levier économique face au manque de moyens des structures, ils relèvent d’une nécessité du fait de la discontinuité imposée de nos activités. Nous avons, avec la majorité des organisations professionnelles, œuvré à la prorogation du régime des intermittents. L’année blanche annoncée devra garantir à tous la stabilisation de leur situation. Toute réforme du système de solidarité interprofessionnelle de l’assurance chômage doit assurer la stabilisation des revenus de l’ensemble des travailleurs pour préserver une continuité de l’activité.
Repenser les espaces de la construction politique
De tels changements doivent s’accompagner d’une redéfinition des relations entre État, collectivités et organisations professionnelles et citoyennes. Cela demandera la mise en place systématique, dès l’automne 2020, de conférences territoriales du spectacle vivant (COREPS*) comme espaces d’élaboration, de construction et de concertation. Rappelons d’ailleurs que ces dispositions sont déjà inscrites dans la loi LCAP, mais trop rarement mises en pratique.
* COREPS : Comité Régional des Professions du Spectacle, prévu par la circulaire du Premier ministre du 6 août 2003 relative à la mobilisation des services de l’État sur la situation économique et sociale des secteurs de l’audiovisuel, du cinéma et du spectacle et la circulaire du Ministère de la culture et de la communication n° 2004/007 du 4 mars 2004 relative à la mise en place d’instances régionales de dialogue social dans les secteurs du spectacle vivant et enregistré.
Un plan d’urgence pour les entreprises du spectacle vivant
Toute politique culturelle ambitieuse nécessite les moyens adaptés. Un plan de soutien de 500 millions d’Euros abondé par l’Etat (0,4 % du plan d’urgence pour les entreprises) complété d’autant par les collectivités territoriales, soit 1 milliard d’Euros, par an, pendant trois ans, pour le secteur indépendant devra être consacré à la refonte du modèle économique du spectacle vivant.
Un système écoresponsable
- préfèrera la durée à la logique de projet ;
- reconnaîtra les démarches des artistes sur les territoires comme un service d’intérêt général et l’infusion artistique comme critère de financement public au même titre que la création et la diffusion ;
- favorisera les circuits-courts, les séries longues.
Enfin il soutiendra financièrement les bonnes pratiques environnementales et participera à la reconversion écologique de notre secteur.
Nous, compagnies et lieux intermédiaires indépendants, impliqués dans une réflexion artistique et politique, sommes engagés dans la construction de réponses collectives aux questions que posent les urgences économiques, sociales et climatiques.
Nous sommes disposés à aller encore plus loin dans nos pratiques, notre relation aux territoires et aux citoyens, à la recherche d’une forme de décroissance économique basée sur une redistribution équitable des moyens, la prise en compte du juste coût de nos activités et assurant la pérennité de nos emplois. Rompre avec la course à la production imposée par un système en bout de souffle pour laisser se déployer des formes artistiques sans cesse renouvelées.
Cette entreprise ambitieuse appelle une réponse politique à la hauteur des enjeux et de l’urgence à y répondre.
Conseil National du SYNAVI
10 juin 2020